101 tankas
Livre 1 : Printemps (XV)
I-1
Un nuage assis
sur la grue du chantier
voilà les beaux jours !
Si j’éteignais la radio
alors se tairait la guerre.
II-1
Fin de floraison
la jacinthe dont l’odeur
me semble couleur
Est-ce que nous embaumerons ?
racine de pissenlits
III-1
Au bord des allées
des pissenlits en boutons
plats comme des crêpes
Je désherbe… tu les manges !
j’aurais dû les préserver
IV-1
Jamais entendu
ces Narcisses poétiques
appelés Jeannettes
Un bouquet dans chaque main
l’un des deux au cimetière
V-1
Dimanche au soleil
sortir le linge ou soi-même ?
la machine tourne
Circonvolutions internes
rinçant ma matière grise
VI-1
Prunus japonais
dit cerisier de Corée
quel fouillis de fleurs !
Sur l’écran de mon smartphone
leurs roseurs n’ont pas d’odeur
VII-1
Mimosa gelé
surprise en saison nouvelle
tant de rejetons !
Jason, des dents du dragon
a vu germer ces guerriers
VIII-1
Jours heureux en mars
le cognassier du Japon
fleur de renaissance
Gare aux pointes de ses branches
sang sur le camélia rose
IX-1
Deux dans l’habitacle
ce flou sur le pare-brise,
est-ce de la brume ?
Mars avec masque on choisit
entre voir ou bien conduire
X-1
Chaque samedi
d’un même élan migrateur
flux autoroutier
Aimantés par les stations
oies blanches et blancs moutons
XI-1
En fleurs et boutons
le rameau de camélias
forme un « kendama »
Équilibre des corolles
ce jeu, qui s’en lassera ?
XII-1
Fleurs à Kyoto
Taketo se promenant
inlassablement
Aux rives de la Kamo
tombe une ondée de pétales
XIII-1
Par le bow-window
Les bourgeons de la glycine
velours indécis
Sur la promesse des fleurs
une abeille un peu groggy
XIV-1
Après l’équinoxe
le manteau chaud du matin
pèse au bras le soir
Les uns trottinent en short
croisant d’autres en doudounes
XV-1
Où est le printemps
ma veste de mi-saison
s’ennuie sur le cintre
Hier j’aurais grelotté
coup de chaleur à midi
Livre 2 : Été (X)
I-2
Je préfère : je suis
Je serai et tu seras
à « avoir été »
La saison des foins coupés
quand on aiguise la faux
II-2
Le père raconte
le temps de l’orphelinat
celui de la guerre
Ses souvenirs de batteuse
des cousins qu’on dit Germains
III-2
Le père raconte
son cartable en peau de vache
rangé pour juillet
Et le fils du contremaître
jetant son cornet de glace
IV-2
Océan indien,
les mois d’été qui s’inversent
Noël transpirant
Au solstice du mois de juin
plus longue sera la nuit
V-2
Toiles d’araignées
sur l’orange mûr des mangues
au lieu de citrouilles !
Tous les ans la même farce
pour Halloween aux Tropiques
VI-2
Pendant dix étés
On attendait les letchis
picorer, jouer
À qui dira « Philippine » !
fruits jumeaux que l’on sépare
VII-2
L’avant cinquantaine
est-ce l’âge de l’été ?
île Réunion
Où la saison des cyclones
m’a laissée en désunion
VIII-2
Des branches nourricières
embrassent la clôture
fruits noirs sur le sol
Poucet sème des cerises
les merles les mangeront
IX-2
Première levée,
grenouille dans la piscine
un temps de saison
Pour le moineau, une miette
fait son petit déjeuner.
X-2
Vois ces balles de paille
l’horizon est crénelé
rempart pour l’hiver
Pas de frontière palpable
entre deux saisons
Livre 3 : Automne (XV)
I-3
Ampoule électrique
attirant les papillons
parfum de la cendre
Les ombres se désagrègent
tandis que leurs ailes tombent
II-3
Courge du jardin
citrouille et potimarron
nourris de fumier
Ce que l’été a jeté
est ma récolte d’automne
III-3
Dans le pâturage
suivre les paisibles vaches
leurs bouses précieuses
Dès que la pluie sera là
on ira aux champignons
IV-3
Juste entre deux vignes
en face du Martelet
lieu-dit Repostère
C’est là qu’on prend le sous-bois
cherchant du pied les châtaignes
V-3
Le ginkgo est d’or
au chaud derrière la vitre
faire une aquarelle
C’est pour rester avec elle
même si ma mère dort
VI-3
Fenêtre du Sud
des branches en chandelier
au tronc du figuier
Mais la flamme de ses feuilles
le grand vent me l’a soufflée !
VII-3
La pluie a tiédi
des tiges de chrysanthèmes
une exhalaison
On la dit utile aux peintres
Tokyo, mes paupières closes
VIII-3
Couper les bambous
aux tubulures terreuses
aériens frou-frous
Quand les tuyaux seront secs
on en fera des pipeaux
IX-3
Du crachin en ville
piétons pressés de rentrer
épaules voûtées
Un regard sur leurs chaussures
le trottoir vernis aussi !
X-3
Trésors sur l’estran
bois flottés sous les écumes
des grandes marées
Elles ramènent le matin
au premier cri de la mouette
XI-3
Heures d’insomnie
petit tour sur le balcon
pour chercher la lune
La nuit est poudrée de frais
premier givre de novembre
XII-3
Traversée des Dombes
l’autoroute semble une digue
saules pieds dans l’eau
La Saône un peu soupe au lait
épanche des larmes d’automne
XIII-3
Encore astringents
les kakis font des promesses
au milieu des vignes
Aux ceps comme auréolés
de l’or du liquidambar
XIV-3
L’angelot pensif
sur le mausolée moussu
du vieux cimetière
Il voit le paysagiste
retourner pierres et tombes
XV-3
« Ô lac ! » du poète
dans le val lamartinien
je vois un étang
Où canards et ragondins
Nagent sans souci des rimes
Livre 4 : Hiver (X)
I-4
Arbres imparfaits
vos formes ligaturées
dans un pot de grès
Les bonsaïs aux ombres courtes
ralentissent ma vieillesse
II-4
Tant de fois, narré,
par le champ des Tartevelles,
son chemin d’école :
Ses sabots gangués de neige
Marthe grimpée sur son dos
III-4
Camélia d’hiver
en décembre, boutons rouges
que Noël entrouvre
Comme en deuil de sa dame
depuis janvier il s’éteint
IV-4
La rouille des feuilles
et les bois noircis de pluie
escorte d’hiver
Sur les galets bleus d’Yport
le chemin creux s’est ouvert
V-4
Juste la frôler
son épaule dans ma paume
pression éphémère
Je sais que le corps se fige
la mort vient avant la neige
VI-4
Dans un ciel ancien
forme laiteuse entamée
le goût de la lune
C’est l’heure où l’on trait les chèvres
crépuscule odorifère
VII-4
Samedi au port
petites crevettes grises
pour l’apéritif
Gris aussi le ciel normand
et toi rond comme une pomme !
VIII-4
Les saulaies à nu
près des bouquets de l’osière
Marquant la rivière
Sous nos parapluies trempés
On n’échappe à la boue
IX-4
L’hiver, quelle chance !
aux aguets sur la jachère
le saut des chevreuils
Leur tache blanche au derrière
guide le chasseur d’images
X-4
Jardin sur l’arrière
les arbres remplis de gui
cultivent nos vœux
Promesses de jour de l’an
pour des amours éphémères
Livre 5 : Paysages (12/15)
I-5
Fille des collines
la brume estompe la plaine
dégradé en bleu
Si le temps est à la pluie
on verra jusqu’au Mont Blanc !
II-5
Colline lumière
c'est le sens de Lugdunum
guide du musée
Je pourrais dire cicérone
devant la table claudienne
III-5
Depuis les Romains,
aux éminences rocheuses,
s'ajoutent nos pierres :
Murs pour la paix ou le siège,
routes pavées de conquêtes
IV-5
Au faîte du frêne
découvrir un nid de geais
aux yeux de l'oiseau
Le ciel est-il paysage ?
un vallon fait de nuages
V-5
Siège à contresens
la banlieue fuit, accélère
fait place aux vergers
Neige rose des pétales
comme après le sirocco
VI-5
Dressés sur la nuit
Pour cueillir la belle étoile
Des degrés de pierre
Taillés à même la roche
Pays zafimaniry
VII-5
Montagne trapue
ses flancs couverts de cultures
dos luisant et nu
Dessinant un minotaure,
labyrinthe des théiers
VIII-5
A la Réunion
des esprits jamais éteints
veillent sous les sables
Sans un sursaut du volcan
l'île serait aux abysses
IX-5
Au Piton des Neiges
masse opaque des nuées
en franges de brume
La dentellière ajourait
le col blanc pour les dimanches
X-5
Carnet de voyage :
avec les moyens du bord
en fond de vallée
Peindre Les Drus en mouillant
mon pinceau dans la poudreuse
XI-5
Au pays de Caux
betterave omniprésente
et la boue aussi
Quand juin chasse le brouillard
une mer de lin en fleurs
XII-5
Vallée de la Seine
falaises troglodytiques
jusqu’à Giverny
Dans la maison de Monet
des Fuji-Yama
XIII-5
Cascade zéclair
grimper entre les jacquiers
et les cryptomères
Pour trouver le raidillon
Où l’eau est lumière
XIV-5
Balade aux tropiques
pas de grasse matinée
pour l’aquarelliste
À midi son paysage
disparaît dans les nuées
XV-5
Quand un livre s’ouvre
Il arrive que ses mots
Format paysage
Réalise mon voyage
Japon, le pays promis
Livre 6 : Enfances (V)
I-6
La première odeur
près de la pompe à essence
banquette arrière
On s’y couche sans ceinture
Bison Futé n’est pas né
II-6
Ma meilleure amie
je l’appelais bicyclette
avant mes 7 ans
Que d’évasions nous faisions !
en danseuse ou en roue libre
III-6
Trouver un cheveu
sur mon épaule, oublié
ce dicton d'enfance
Le tourner sur l'annulaire
en récitant l'alphabet
IV-6
Au bord du trottoir
un chat borgne accidenté
premier jour d'école
Je ne crois pas au présage
enfant devenue maîtresse
V-6
Cet adolescent
gare de Montélimar
chiot sous la chemise
Je repense au renardeau
de l'enfant spartiate
Livre 7 : Amours (X)
I-7
Dans un ciel pur, pur,
deux étoiles du berger !
voir sans mes lunettes
Vénus bien accompagnée
monde où tout s’est dédoublé
II-7
En fermant les yeux
je sais encore où placer
tes grains de beauté
Le paysage est si nu
par la fenêtre du train
III-7
Le ronron des rails
compartiment désuet
mon cœur en alerte
La romance en T.E.R
possible à chaque montée
IV-7
Valence Avignon
entre deux, gare inconnue,
comme ce lecteur
La bouteille qu’il oublie,
j’ose la porter aux lèvres
V-7
Dentelles de roche
la vue sur le mont Ventoux
rêvant un Fuji
Marquer notre promenade
d'heureuses contemplations
VI-7
Chaque creux du mur
A la saison de l'amour
Roucoule et ondoie
Des plumes grises s'échappent
Le pigeon perdant s'envole
VII-7
Revenir ici
où je t’avais rencontré
un pont en hiver
Haleine glacée du fleuve
mes collants étaient filés
VIII-7
Jeunes amoureux
la ville est leur territoire
juste s’embrasser
Dessinant sans réfléchir
les souvenirs d’aujourd’hui
IX-7
Sous l’oreiller frais
caleçon et calicot
roulés enlacés
Le vent joue avec le store
quand les amants sont partis
X-7
Nos draps repoussés
sur la peau, l’humidité
prend le goût du sel
À la saison des cyclones
pales des ventilateurs
Livre 8 : Voyages (X)
I-8
Le matin parfait
l’horizon est d’opaline
pointé d’une étoile
Comète d’un gyrophare
la sirène du départ
II-8
Tout près de la mer
chenilles processionnaires
avant les touristes
Grâce aux unes et aux autres
me voilà agoraphobe
III-8
Aux berges du Rhône
s'échelonnent les collines
zébrures des vignes
Entre usine et maraîcher
passe le chemin de fer
IV-8
Est-ce une illusion
En quittant Lyon par le sud
Déjà à Marseille
Le contrôleur a l'accent
Odeur de fleur d'oranger
V-8
Que mémoriser
train remontant la vallée
coups d'œil sur des vies
Un palmier, un trampoline
une péniche et un cygne
VI-8
Un moment après
quittant des yeux les rivages
c'est le crépuscule
Le train reprend sa vitesse
néons sur les tours d'usine
VII-8
Le long du grand fleuve
dont la nuit solidifie
le ruban d'acier
Tant que brillent les villages
j'oublie le compartiment
VIII-8
Mon passé lointain
au cœur d’un lointain pays
accessible à pied
Avec les rêves aussi
nous marchions en bord d’abîme
IX-8
Les forêts de l’Est
bruissantes de lémuriens
saison des amours
Poules se poussant à peine
Chant du train de Manakara
X-8
Au bord du trottoir
dans mon carnet de voyage
peindre à l’aquarelle
Pondichéry quartier blanc
j’entends le bruit des pétards
Livre 9 : Mélanges (X)
I-9
Bar Le Liberté
caméra de surveillance
Pass’ ceci cela...
Démolition imminente
du dernier bout de ma rue
II-9
Plier mille grues
des papiers multicolores
aux ailes ouvertes
Pour suspendre les combats
de gueules, d'azur et d'or
III-9
Du bleu et de l'or
on pourrait croire un blason
horizon des blés
Van Gogh en fit son tableau
avant le fondu au noir
IV-9
Un duvet de plume
posé sur le piqué bleu
cadeau d’oreiller
À moins que les angelots
secouent leur aile en rêvant
V-9
La dent ébréchée
quand elle était jeune fille
à nouveau brisée
Je garde en moi son visage
souriant la bouche close
VI-9
Murs de palissades
masquant l’immeuble agrandi
le cèdre abattu
Un message pour la paix
tagué au-dessus
VII-9
Au prochain arrêt
rendez-vous de poésie
scène rue Verlaine
Le ciel par-dessus le bus
écrit des vers électriques
VIII-9
Les yeux dans les mots
un paysage intérieur
ce roman de Karl
Où la mort redéfinit
l'auto-thanato-graphie
IX-9
JT à l'écran
Syrie Liban ou Ukraine
comprendre autrement
« L'immobilier qui s'effondre »
trafiquants d'armes et de pierres
X-9
Jardins citadins
les employés de la ville
sèment des copeaux
Point de vue de la fourmi
sur ces champs de ruine
Le 101
Des feutres en ligne
l'enfant commence un dessin
chez la psychologue
Comment faire le soleil
Si le jaune n'y est pas ?
Blandine Berne, du 1er au 22 mars 2022
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