samedi 26 mars 2022

101 tankas

 101 tankas 

 


 

Livre 1 : Printemps (XV)

 

 

I-1

Un nuage assis

sur la grue du chantier

voilà les beaux jours !

Si j’éteignais la radio

alors se tairait la guerre.

 

II-1

Fin de floraison

la jacinthe dont l’odeur

me semble couleur

Est-ce que nous embaumerons ?

racine de pissenlits

 

III-1

Au bord des allées

des pissenlits en boutons

plats comme des crêpes

Je désherbe… tu les manges !

j’aurais dû les préserver

 

IV-1

Jamais entendu

ces Narcisses poétiques

appelés Jeannettes

Un bouquet dans chaque main

l’un des deux au cimetière

 

V-1

Dimanche au soleil

sortir le linge ou soi-même ?

la machine tourne

Circonvolutions internes

rinçant ma matière grise

 

VI-1

Prunus japonais

dit cerisier de Corée

quel fouillis de fleurs !

Sur l’écran de mon smartphone

leurs roseurs n’ont pas d’odeur


 

VII-1

Mimosa gelé

surprise en saison nouvelle

tant de rejetons !

Jason, des dents du dragon

a vu germer ces guerriers

 

VIII-1

Jours heureux en mars

le cognassier du Japon

fleur de renaissance

Gare aux pointes de ses branches

sang sur le camélia rose

 

IX-1

Deux dans l’habitacle

ce flou sur le pare-brise,

est-ce de la brume ?

Mars avec masque on choisit

entre voir ou bien conduire

 

X-1

Chaque samedi

d’un même élan migrateur

flux autoroutier

Aimantés par les stations

oies blanches et blancs moutons

 

XI-1

En fleurs et boutons

le rameau de camélias

forme un « kendama »

Équilibre des corolles

ce jeu, qui s’en lassera ?

 

XII-1

Fleurs à Kyoto 

Taketo se promenant

inlassablement

Aux rives de la Kamo

tombe une ondée de pétales

 

 

XIII-1

Par le bow-window

Les bourgeons de la glycine

velours indécis

Sur la promesse des fleurs

une abeille un peu groggy

 

 

XIV-1

Après l’équinoxe

le manteau chaud du matin

pèse au bras le soir

Les uns trottinent en short

croisant d’autres en doudounes

 

XV-1

Où est le printemps

ma veste de mi-saison

s’ennuie sur le cintre

Hier j’aurais grelotté

coup de chaleur à midi

 


 

Livre 2 : Été (X)

 

I-2

Je préfère : je suis

Je serai et tu seras

à « avoir été »

La saison des foins coupés

quand on aiguise la faux

 

II-2

Le père raconte

le temps de l’orphelinat

celui de la guerre

Ses souvenirs de batteuse

des cousins qu’on dit Germains

 

III-2

Le père raconte

son cartable en peau de vache

rangé pour juillet

Et le fils du contremaître

jetant son cornet de glace

 

IV-2

Océan indien,

les mois d’été qui s’inversent

Noël transpirant

Au solstice du mois de juin

plus longue sera la nuit

 

V-2

Toiles d’araignées

sur l’orange mûr des mangues

au lieu de citrouilles !

Tous les ans la même farce

pour Halloween aux Tropiques

 

VI-2

Pendant dix étés

On attendait les letchis

picorer, jouer

À qui dira « Philippine » !

fruits jumeaux que l’on sépare

 

VII-2

L’avant cinquantaine

est-ce l’âge de l’été ?

île Réunion

Où la saison des cyclones

m’a laissée en désunion

 

VIII-2

Des branches nourricières

embrassent la clôture

fruits noirs sur le sol

Poucet sème des cerises

les merles les mangeront

 

 

IX-2

Première levée,

grenouille dans la piscine

un temps de saison

Pour le moineau, une miette

fait son petit déjeuner.

 

X-2

Vois ces balles de paille

l’horizon est crénelé

rempart pour l’hiver

Pas de frontière palpable 

entre deux saisons

 



 

Livre 3 : Automne (XV)

 

I-3

Ampoule électrique

attirant les papillons

parfum de la cendre

Les ombres se désagrègent

tandis que leurs ailes tombent

 

II-3

Courge du jardin

citrouille et potimarron

nourris de fumier

Ce que l’été a jeté

est ma récolte d’automne

 

III-3

Dans le pâturage

suivre les paisibles vaches

leurs bouses précieuses

Dès que la pluie sera là

on ira aux champignons

 

IV-3

Juste entre deux vignes

en face du Martelet

lieu-dit Repostère

C’est là qu’on prend le sous-bois

cherchant du pied les châtaignes

 

V-3

Le ginkgo est d’or

au chaud derrière la vitre

faire une aquarelle

C’est pour rester avec elle

même si ma mère dort

 

VI-3

Fenêtre du Sud

des branches en chandelier

au tronc du figuier

Mais la flamme de ses feuilles

le grand vent me l’a soufflée !

 

VII-3

La pluie a tiédi

des tiges de chrysanthèmes

une exhalaison

On la dit utile aux peintres

Tokyo, mes paupières closes

 

VIII-3

Couper les bambous

aux tubulures terreuses

aériens frou-frous

Quand les tuyaux seront secs

on en fera des pipeaux

 

IX-3

Du crachin en ville

piétons pressés de rentrer

épaules voûtées

Un regard sur leurs chaussures

le trottoir vernis aussi !

 

X-3

Trésors sur l’estran

bois flottés sous les écumes

des grandes marées

Elles ramènent le matin 

au premier cri de la mouette

 

XI-3

Heures d’insomnie

petit tour sur le balcon

pour chercher la lune

La nuit est poudrée de frais

premier givre de novembre

 

 

XII-3

Traversée des Dombes

l’autoroute semble une digue

saules pieds dans l’eau

La Saône un peu soupe au lait

épanche des larmes d’automne

 

XIII-3

Encore astringents

les kakis font des promesses

au milieu des vignes

Aux ceps comme auréolés

de l’or du liquidambar

 

XIV-3

L’angelot pensif

sur le mausolée moussu

du vieux cimetière

Il voit le paysagiste

retourner pierres et tombes

 

 

XV-3

« Ô lac ! » du poète

dans le val lamartinien

je vois un étang

Où canards et ragondins

Nagent sans souci des rimes

 


 

Livre 4 : Hiver (X)

 

I-4

Arbres imparfaits
vos formes ligaturées
dans un pot de grès
Les bonsaïs aux ombres courtes
ralentissent ma vieillesse

 

II-4

Tant de fois, narré,

par le champ des Tartevelles,

son chemin d’école :

Ses sabots gangués de neige

Marthe grimpée sur son dos

 

III-4

Camélia d’hiver

en décembre, boutons rouges

que Noël entrouvre

Comme en deuil de sa dame

depuis janvier il s’éteint

 

IV-4

La rouille des feuilles

et les bois noircis de pluie

escorte d’hiver

Sur les galets bleus d’Yport

le chemin creux s’est ouvert

 

 

V-4

Juste la frôler
son épaule dans ma paume
pression éphémère
Je sais que le corps se fige
la mort vient avant la neige

 

VI-4

Dans un ciel ancien

forme laiteuse entamée

le goût de la lune

C’est l’heure où l’on trait les chèvres

crépuscule odorifère

 

VII-4

Samedi au port

petites crevettes grises

pour l’apéritif

Gris aussi le ciel normand

et toi rond comme une pomme !

 

VIII-4

Les saulaies à nu 

près des bouquets de l’osière

Marquant la rivière

Sous nos parapluies trempés

On n’échappe à la boue

 

IX-4

L’hiver, quelle chance !

aux aguets sur la jachère

le saut des chevreuils

Leur tache blanche au derrière

guide le chasseur d’images

 

X-4

Jardin sur l’arrière

les arbres remplis de gui

cultivent nos vœux

Promesses de jour de l’an

pour des amours éphémères




Livre 5 : Paysages (12/15)

 

I-5

Fille des collines

la brume estompe la plaine

dégradé en bleu

Si le temps est à la pluie

on verra jusqu’au Mont Blanc !

 

II-5

Colline lumière
c'est le sens de Lugdunum
guide du musée
Je pourrais dire cicérone
devant la table claudienne

 

III-5

Depuis les Romains,
aux éminences rocheuses,
s'ajoutent nos pierres :
Murs pour la paix ou le siège,
routes pavées de conquêtes

 

IV-5

Au faîte du frêne
découvrir un nid de geais
aux yeux de l'oiseau 
Le ciel est-il paysage ?
un vallon fait de nuages

V-5

Siège à contresens
la banlieue fuit, accélère
fait place aux vergers
Neige rose des pétales
comme après le sirocco

 

VI-5

Dressés sur la nuit
Pour cueillir la belle étoile
Des degrés de pierre
Taillés à même la roche
Pays zafimaniry

VII-5

Montagne trapue
ses flancs couverts de cultures
dos luisant et nu
Dessinant un minotaure,
labyrinthe des théiers

VIII-5

A la Réunion
des esprits jamais éteints
veillent sous les sables
Sans un sursaut du volcan
l'île serait aux abysses

IX-5

Au Piton des Neiges
masse opaque des nuées
en franges de brume
La dentellière ajourait 
le col blanc pour les dimanches

 

X-5

Carnet de voyage :

avec les moyens du bord

en fond de vallée

Peindre Les Drus en mouillant

mon pinceau dans la poudreuse

 

XI-5

Au pays de Caux

betterave omniprésente

et la boue aussi

Quand juin chasse le brouillard

une mer de lin en fleurs

 

XII-5

Vallée de la Seine 

falaises troglodytiques

jusqu’à Giverny 

Dans la maison de Monet

des Fuji-Yama

 

XIII-5
Cascade zéclair

grimper entre les jacquiers

et les cryptomères

Pour trouver le raidillon

Où l’eau est lumière

 

XIV-5

Balade aux tropiques

pas de grasse matinée

pour l’aquarelliste

À midi son paysage

disparaît dans les nuées

 

 

XV-5

Quand un livre s’ouvre

Il arrive que ses mots 

Format paysage

Réalise mon voyage

Japon, le pays promis


 


Livre 6 : Enfances (V)

 

I-6

La première odeur

près de la pompe à essence

banquette arrière

On s’y couche sans ceinture

Bison Futé n’est pas né

 

II-6

Ma meilleure amie

je l’appelais bicyclette

avant mes 7 ans

Que d’évasions nous faisions !

en danseuse ou en roue libre

 

III-6

Trouver un cheveu
sur mon épaule, oublié
ce dicton d'enfance
Le tourner sur l'annulaire
en récitant l'alphabet

 

IV-6

Au bord du trottoir
un chat borgne accidenté
premier jour d'école
Je ne crois pas au présage
enfant devenue maîtresse

 

V-6

Cet adolescent
gare de Montélimar
chiot sous la chemise
Je repense au renardeau
de l'enfant spartiate

 

Livre 7 : Amours (X)

 

I-7

Dans un ciel pur, pur,

deux étoiles du berger !

voir sans mes lunettes

Vénus bien accompagnée

monde où tout s’est dédoublé

 

II-7

En fermant les yeux
je sais encore où placer
tes grains de beauté
Le paysage est si nu
par la fenêtre du train

 

III-7

Le ronron des rails
compartiment désuet
mon cœur en alerte
La romance en T.E.R
possible à chaque montée

 

IV-7

Valence Avignon

entre deux, gare inconnue,

comme ce lecteur

La bouteille qu’il oublie,

j’ose la porter aux lèvres

 

V-7

Dentelles de roche
la vue sur le mont Ventoux
rêvant un Fuji
Marquer notre promenade
d'heureuses contemplations


VI-7

Chaque creux du mur
A la saison de l'amour
Roucoule et ondoie
Des plumes grises s'échappent
Le pigeon perdant s'envole

 

VII-7

Revenir ici

où je t’avais rencontré

un pont en hiver

Haleine glacée du fleuve

mes collants étaient filés

 

VIII-7

Jeunes amoureux

la ville est leur territoire

juste s’embrasser

Dessinant sans réfléchir

les souvenirs d’aujourd’hui

 

IX-7

Sous l’oreiller frais

caleçon et calicot

roulés enlacés

Le vent joue avec le store

quand les amants sont partis

 

X-7

Nos draps repoussés

sur la peau, l’humidité

prend le goût du sel

À la saison des cyclones

pales des ventilateurs

 




Livre 8 : Voyages (X)

 

I-8

Le matin parfait

l’horizon est d’opaline

pointé d’une étoile

Comète d’un gyrophare

la sirène du départ

 

II-8

Tout près de la mer

chenilles processionnaires

avant les touristes

Grâce aux unes et aux autres

me voilà agoraphobe

 

III-8

Aux berges du Rhône
s'échelonnent les collines
zébrures des vignes
Entre usine et maraîcher
passe le chemin de fer


IV-8
Est-ce une illusion
En quittant Lyon par le sud
Déjà à Marseille
Le contrôleur a l'accent
Odeur de fleur d'oranger 

V-8
Que mémoriser
train remontant la vallée
coups d'œil sur des vies
Un palmier, un trampoline
une péniche et un cygne

VI-8
Un moment après
quittant des yeux les rivages
c'est le crépuscule
Le train reprend sa vitesse
néons sur les tours d'usine

VII-8

Le long du grand fleuve
dont la nuit solidifie
le ruban d'acier
Tant que brillent les villages
j'oublie le compartiment

 

VIII-8

Mon passé lointain

au cœur d’un lointain pays

accessible à pied

Avec les rêves aussi

nous marchions en bord d’abîme

 

IX-8

Les forêts de l’Est

bruissantes de lémuriens

saison des amours

Poules se poussant à peine

Chant du train de Manakara

 

X-8

Au bord du trottoir

dans mon carnet de voyage

peindre à l’aquarelle

Pondichéry quartier blanc

j’entends le bruit des pétards


 


 

Livre 9 : Mélanges (X)

 

I-9

Bar Le Liberté
caméra de surveillance

Pass’ ceci cela...
Démolition imminente
du dernier bout de ma rue

 

II-9

Plier mille grues
des papiers multicolores
aux ailes ouvertes
Pour suspendre les combats
de gueules, d'azur et d'or

 

III-9

Du bleu et de l'or
on pourrait croire un blason
horizon des blés
Van Gogh en fit son tableau
avant le fondu au noir

 

IV-9

Un duvet de plume

posé sur le piqué bleu

cadeau d’oreiller

À moins que les angelots

secouent leur aile en rêvant

 

V-9

La dent ébréchée

quand elle était jeune fille

à nouveau brisée

Je garde en moi son visage

souriant la bouche close

 

VI-9

Murs de palissades 
masquant l’immeuble agrandi
le cèdre abattu
Un message pour la paix
tagué au-dessus

VII-9
Au prochain arrêt
rendez-vous de poésie
scène rue Verlaine
Le ciel par-dessus le bus
écrit des vers électriques

 

VIII-9

Les yeux dans les mots
un paysage intérieur
ce roman de Karl
Où la mort redéfinit
l'auto-thanato-graphie

 

IX-9

JT à l'écran
Syrie Liban ou Ukraine
comprendre autrement
« L'immobilier qui s'effondre »
trafiquants d'armes et de pierres


X-9

Jardins citadins
les employés de la ville
sèment des copeaux
Point de vue de la fourmi
sur ces champs de ruine

 

Le 101


Des feutres en ligne
l'enfant commence un dessin

chez la psychologue

Comment faire le soleil

Si le jaune n'y est pas ?

 

Blandine Berne, du 1er au 22 mars 2022





 

 

 

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