lignée 4
nb
: 11 mars 17h
Je
veux accoucher un 15 novembre !
Quand
votre compagne vous crie cela entre deux contractions alors que votre
bagnole est prise dans un embouteillage et que vous êtes un 1er mai,
vous savez que vous n'êtes pas au bout de vos problèmes.
-Mina.
Je suis déso...
-Non
! J'ai pris ma décision.
Qui
avait eu l'idée déjà d'allumer la radio ? Bon sang ! Je savais
qu'elle avait une passion pour le Chili mais de là à décider,
alors même que l'accouchement est une question d'heures, de faire
naître son enfant six mois plus tard, en mémoire d'un garçon
disparu à cette date, c'était incroyable !
Elle
ne le connaissait même pas, c'est juste le journaliste qui vient de
le présenter !
-Ma
chérie, tu sais bien que c'est impossible.
Ah...si ! J'accoucherai un 15 novembre !
Ah...si ! J'accoucherai un 15 novembre !
Bien,
surtout garder son calme. Respire, inspire, respire, tout va bien, ma
femme me fait juste une crise de folie liée à l'accouchement.
-Regarde,
l'embouteillage se termine, on sera tous les deux, enfin trois avec
la meilleure amie qui s'égosille à l'arrière, dans une dizaine de
minutes, à l'hôpital. OK, tu accoucheras un 15 novembre, on
essaiera, mais pas Ce bébé !
bb : 23h
Le commandant
Salvatore a quitté Lampedusa.
La jeune fille érythréenne a quitté la cérémonie du café pour se dissoudre dans le désert et l'exil.
Les jumeaux
(lequel en premier ?) ont quitté le ventre de leur mère
biologique... à son tour elle les a quittés dans un lieu où
d'autres enfants attendent d'autres parents, parfois toute leur vie,
jusqu'à devenir adultes, père et mère qui disparaissent.
Le sous-continent
indien a quitté la Pangée primitive, glissant de ce qui se nommera
Afrique vers ce qui se nommera Asie.
La lune a quitté
la nuit pour se renouveler.
Le commandant
Salvatore n'a plus de bateau, n'a plus de patrie ; il erre dans un
roman écrit il y a une décennie. Lorsque chaque lecteur finit le
livre de Gaudé, il projette sur son personnage la masse mortelle du
camion, lequel le fauche, hors de son monde, à l'abandon.
nb
: 12 mars, 4h
4, 6,
8 syllabes
5 ou 7
pour les haïkus
reprise
impossible
bouteille de verre
en toi la vie qui s'écoule
fait naître une mer
son
roman écrit
des
jumeaux à l'abandon
à
tombeau ouvert
face au manque d'inspi'
décortication du texte
mais aucun succès
réservoir
à
mots
voyage
Asie bateau
patrie
livre
esquisse
il vague
camion
nuit roman
de
plus quitter histoire
jumeaux
rassembler
drôle
tombeau
projeter
boire exiler
vacarme
ventre port
abandonner
deux mère grand
errer
renouveler trahir
vivant
lunatique leurre
poétique
vibration jeune
bb
: 9h
Fin
? Faim ?
Ma
tête est une casserole, un faitout familial avec deux oreilles pour
l'attraper et servir à table.
Mère
nourricière.
Mes
enfants chocolat, fèves de cacao, grains de café. Leurs yeux, de la
gousse velours de vanille au caramel d'une noix fraîche ou noisette
encore verte.
Leurs
peaux à lécher, à nourrir de monoï.
Leurs
blessures de l'enfance, doigts rougis par la gale. Les mains qui
emboitaient des formes gigognes et progressaient à quatre pattes.
Leurs
mains adultes de danseur, de guitariste, de peseuse de mots, ses
mains en devenir de lanceur de balles.
Les
poings fermés du bébé aux ongles luisants comme des coquillages.
Les
mains empêchées du garçon de 2 ans qui ne doit pas porter ses
doigts à sa bouche où un palais tout neuf vient d'être ourlé
comme un jupon de conte de fées, voile après voile ; ses bras
entravés par une camisole dont l'armature de bois le transforme en
marionnette, le temps de sa convalescence.
Leurs
40 doigts superposés en fleurs de chair sur cette vieille
photographie.
Les
boîtes de Finger à partager équitablement.
L'aînée qui préside à la distribution et le benjamin qui pique en douce tout ce qui est sucré.
L'aînée qui préside à la distribution et le benjamin qui pique en douce tout ce qui est sucré.
Le
verre de lait saupoudré de fourmis qui caille dans la chambre de
l'adulescente ; les copeaux de clémentines collectés pour leur
odeur, dans le tiroir du chevet de son frère jumeau.
Faim
! Fin, finalité ! mon coeur est un creuset, un livre de recettes
avec la rituelle tarte à la framboise sur laquelle des langues de
pâte inscrivent toutes les dates qui ont compté autour de la table.
Notre
table où une assiette manque.
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